Après le martyre :
souvenir et cause canonique

Sérignan et son martyr
Lacordaire et Tarniquet
Le bienheureux du père Estournet
Un saint de Sérignan  pour tous

Guillaume Courtet est probablement depuis le XVIIe siècle le plus populaire des sérignanais dans sa commune. Il est le premier martyr français au Japon. Au fil des siècles, ses compatriotes lui sont resté très attachés contribuant ainsi au succès, en 1987, d’une cause canonique qui doit beaucoup à l'action du chanoine Estournet.
 

Sérignan et son martyr à travers les siècles

Le martyre de la fin septembre 1637 n’a probablement été connu en Languedoc que plus d’un an après (la nouvelle n’est parvenue à Manille que le 27 décembre 1637). Mais celle de son départ pour le Japon y avait vraisemblablement préparé ses proches. Elle est en tout cas connue en 1641 lorsque les étudiants en théologie du couvent dominicain de Béziers lui dédient leur thèse.

Le souvenir et la vénération de Guillaume se sont exprimés de bien des manières dans sa ville natale au cours du siècle qui a suivi son martyre. La croix devant l’entrée de l’église semble avoir été érigée en son honneur [9] . À défaut de documents écrits, une étude récente [10] sur la fréquence de son prénom semble l’attester. Celle-ci, comparée à celle de 6 autres paroisses du diocèse de Béziers, a augmenté significativement de 70% chez les mariés à Sérignan entre 1666 et 1760. Cela laisse supposer un quasi doublement de cette fréquence chez les baptisés des trois générations qui ont suivi l’annonce du martyre (une proportion notable des mariés n’ayant pas été baptisée à Sérignan).

Cette même étude montre qu’au bout d’un siècle la fréquence du prénom Guillaume dans sa ville est revenue se fondre avec celles des autres paroisses. Cette moindre référence n’est pas significative d’oubli. Mais le souvenir s’est probablement réduit à un cercle plus restreint de fidèles sérignanais. Le bouleversement de la révolution n’a pu qu’y rajouter.

Parallèlement le souvenir et la vénération se transmettaient dans différentes branches de sa famille [11] comme en témoignent les tableaux qu’elles en firent exécuter durant les siècles suivants et dont le dernier en date semble être celui réalisé par le peintre Roudès en 1856, connu sous l’appellation du « portrait en mandarin ».
 
 

Le vénérable de Lacordaire et du père Tarniquet

C’est vers le milieu du XIX° siècle (époque propice à la redécouverte des racines et du patrimoine) que semble rejaillir la popularité du père Courtet. Plusieurs personnes vont y contribuer. Le père Lacordaire gardait une vénération privilégiée pour Guillaume : une gravure [12] de son martyre était au-dessus de son prie-Dieu à Sorèze. Son décès en 1861 l’empêchera d’écrire la biographie de son frère de robe dont il souhaitait vivement la canonisation.

Le contexte aida aussi à ranimer la cause. L’Église dès 1831 essaya de renvoyer des missionnaires au Japon. Une première tentative réussit en 1844. Quelques années plus tard le Japon se rouvre (sous la pression internationale) aux échanges avec l’extérieur. On y redécouvre alors l’existence d’une communauté chrétienne qui avait vécu deux siècles et demi dans la clandestinité, sans prêtre, et qui avait su conserver et transmettre l’essentiel du message évangélique. Une mission est ouverte en 1859 [13] . Conjointement Pie IX, en 1862, canonisa les 26 premiers martyrs du Japon de 1597 et, en 1867, béatifia 205 autres de 1617.

C’est dans ce contexte que Jules Courtet (né en 1812), ancien sous-préfet et auteur d’ouvrages variés, publie [14] en 1868, à Avignon, une monographie remarquablement documentée sur la vie du « vénérable » père Courtet.

En 1890, le chanoine Tarniquet, curé de Sérignan, redécouvre l’histoire de Guillaume en compulsant les archives de sa paroisse pour écrire une notice sur la collégiale. Il reçoit de son évêque l’exemplaire de la « photographie » (de la gravure) provenant de la cellule du père Lacordaire. Il entreprend alors, la rédaction de ce qui va devenir un véritable livre [15] . Et à la mi novembre 1891, c’est Monseigneur de Cabrières, l’évêque de Montpellier, qui vient à Sérignan présider un triduum solennel, trois jours de conférences et de célébrations, dans une collégiale rénovée et pavoisée. Tout le détail est relaté dans un ouvrage de l’abbé Bérail [16]

La statue qui se trouve toujours sur la place de l’église (aujourd'hui baptisée place St-Guillaume Courtet) a été érigée en 1894, à l’initiative du chanoine Tarniquet et avec la participation des paroissiens et des familles du martyr. Le fut de la statue est un élément récupéré sur le tombeau de la famille de Lort (sur les photos d’époque leur blason est encore reconnaissable mais il n’en subsiste plus que la trace aujourd'hui.)

Il semble qu’à ce premier regain ait succédé une nouvelle tiédeur dans les manifestations solennelles en l’honneur du père Courtet. Les difficultés entre l’Église et l’État à la charnière des XIXe et XXe siècles ont pu y contribuer : la statue érigée en 1894 n’est elle pas encore cent ans plus tard dressée sur une minuscule parcelle privée de 10 ares ?


Le bienheureux du père Estournet

Après les deux grands conflits mondiaux, la cause canonique de Guillaume va repartir. Joseph Estournet vient d’être nommé curé de Sérignan et il va être, entre autres belles œuvres, le grand artisan de la béatification.

Comme son lointain prédécesseur Tarniquet, Joseph Estournet ne connaissait pas le martyr de son compatriote lorsqu’il prit en charge la paroisse de Sérignan. Comme il l’a écrit : «La statue dressée sur le parvis de l’église avait bien attiré mon attention, mes paroissiens fidèles me transmettaient leur fierté de compter un martyr parmi leurs compatriotes ! En ce temps-là j’étais plus préoccupé d’évangéliser mes paroissiens de la terre que ceux qui n’avaient pas besoin de mon ministère, je le croyais » [17]

Mais par un dimanche d’été 1950 trois membres d’une famille, dont un tout jeune, vinrent le solliciter avec enthousiasme. «  [Ils] crurent devoir s’excuser de n’être pas mes paroissiens. [...] Quand mes visiteurs prirent congé, j’avais changé ma conviction » [18] . Et Joseph Estournet se lança dans l’entreprise, créa une association, l’APAPEC (Association des Parents et Amis du Père Courtet) réveilla un peu les différentes familles et entreprit, aidé de « l’équipe sérignanaise » et de parents, l’immense travail d’accompagnement de la cause canonique.
Ce dossier rassemblait en effet au Vatican 16 martyrs du Japon entre les années 1633 et 1637. Ces martyrs étaient originaires de cinq pays différents (Espagne, France, Italie, Philippines, Japon) et, contrairement à Sérignan, la plupart des paroisses avaient oublié jusqu'à l’existence de leur martyr. Le père Estournet parcourut ainsi la planète pour faire renaître ou ranimer les souvenirs, rechercher des documents,... Un ouvrage relatera peut-être un jour toute cette aventure peu connue aux dimensions multiples dans laquelle l’infatigable curé de Sérignan fut entouré de collaborateurs compétents, dévoués et généreux. Un des premiers événements publics marquants à Sérignan fut à la Toussaint 1963, la visite de Monseigneur Yamaguchi, évêque de Nagasaki.

Après plus de trente ans d’efforts, le père Estournet connut enfin le succès de son entreprise : le 18 février 1981, accompagné e son évêque et d’une vingtaine de fidèles il était au côté du pape Jean-Paul II, à Manille (photo), pour la béatification de Guillaume et de ses compagnons martyrs, devant une foule bigarrée de plusieurs millions de personnes.

Un saint de Sérignan pour tous

La cause qui avait duré plus de trois siècles et demi ne s’arrêta pas en chemin. La guérison miraculeuse de Cecilia Alegria Polycarpio en octobre 1983 a été reconnue en mars 1987 et a permis la canonisation du groupe des martyrs le 18 octobre 1987. Le chanoine Estournet concélébra avec le pape Jean-Paul II sur la place St-Pierre-de-Rome. Plusieurs centaines de sérignanais et de parents avaient fait le voyage, guidés par le chanoine Estournet et Monseigneur Boffet, évêque de Montpellier, accompagnés de nombreux ecclésiastiques du diocèse sans oublier les représentants des différentes autorités locales et nationales.

Le premier martyr français au Japon est ainsi devenu aussi le premier dominicain français dont la sainteté ait été proclamée par l’Église. La fête liturgique des 16 martyrs (Guillaume, ses cinq compagnons de voyage et de supplice et dix autres martyrs du Japon des années 1633 et 1634) a été fixée au 28 septembre.

Sur la place Saint-Pierre, à l'issue de la canonisation une pensée a été partagé : "Ce n'est qu'un commencement".

Joseph Estournet nous a quittés en 1993. Mais, par ses dernières dispositions il laissait la porte ouverte sur l’avenir : Le « Centre St-Guillaume Courtet » qu’il avait intensément souhaité a été édifié en 1996 et inauguré le 14 septembre 1997 par Monseigneur Jean-Pierre Ricard, évêque de Montpellier. C’est un espace d’exposition, d‘information, de formation, de recherche, de diffusion et d’échanges autour de la vie et de la spiritualité de St Guillaume Courtet et de ses compagnons. Il est situé à deux pas de la collégiale et animé par l’APAPEC.

 

12/07/2015




Bibliographie